Dernière mise à jour : 21/4/2018
50 ans
de vie rémoise
1950-2000
Alain Moyat
Mai 68 à Reims : imposantes manifestations dans les rues
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Mai
68 à Reims, les marmites étudiantes et ouvrières en ébullition
par Alain Moyat
Fin avril 1968. — Les Rémois disent au revoir à Mgr Marty. Le
député-maire, Jean Taittinger, veut que «l'autoroute urbaine soit
engagée avant 1970». A l'Assemblée nationale, le socialiste Roland
Dumas dénonce «l'information totalitaire». Sur leur petit écran télé,
ils découvrent en noir et blanc un étudiant rouquin aux yeux bleus.
Daniel Cohn-Bendit, chef du «mouvement des enragés», s'agite à la
faculté de Nanterre et proclame : «Accepter la culture dispensée par
l'université bourgeoise, c'est accepter de se préparer et de participer
à l'exploitation capitalistique.» Le message séduit ses potes étudiants
qui se réclament de Che Guevara.
1er mai 1968. Au meeting de la fête du travail à Reims, la CGT et la
FEN relaient la contestation parisienne. M. Mention dénonce «la
conjugaison indigne des efforts de l'État et des monopoles
capitalistiques contre les intérêts de la classe ouvrière.» M. Pierre
fustige «la politique démagogique gaulliste qui, en soutenant l'école
privée, veut en faire un secteur privilégié qui formera des citoyens
dociles.»
L'octroi, début mai, d'une 4e semaine de congés payés supplémentaire
n'a pas l'effet escompté. Ça bouge toujours à Paris. Nanterre est fermé
sine die. Les cours sont suspendus à la Sorbonne.
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mai : grève des étudiants. L'Association générale des étudiants de Reims (AGER) appelle à la grève
avec Alain Guiolet. 80% des étudiants du Collège de droit et des
sciences (1600) suivent le mouvement, un millier au Collège littéraire
ainsi que ceux de l'enseignement supérieur et des classes prépa. A
l'IUT, ils sont plus partagés.
Pendant
ce temps, Jean Taittinger inaugure l'usine rémoise de la Compagnie
européenne des thermostats. On se bouscule à l'exposition canine.
Barricades, lancer de pavés : à Paris, des heurts violents opposent
«flics» et étudiants, qui font 250 blessés des deux côtés. Les pavés
volent. La police matraque. Les paniers à salade se remplissent.
En 24 heures, le mouvement étudiant s'amplifie à Reims, grossi par les
élèves du Collège de droit, ceux de dentaire et des lycéens. Quinze
cent élèves défilent en scandant des «A bas la répression», «Libérez
nos camarades», «Liberté d'expression» «Ouvriers avec nous». Nouvelle
manifestation le 9 mai avec les syndicats et les Jeunesses communistes
au cri de «Peyrefitte démission».
Méga
manif le lundi 13 mai. — Ça chauffe encore un peu plus à Paris. Pendant qu'Anne-Marie Doucet
joue les «Jeanne d'Arc», la CGT prépare son 40e congrès et une super
manif prévue le 13 mai avec la FEN, la CFDT, FO, l'AGER, etc. Du jamais
vu depuis 1953 : plus de 6000 personnes. Lettres en grève, pas de
cours, mais des colloques en sciences, en médecine. Piquet de grève à
l'IUT. On bosse pourtant en pharmacie, en droit et à l'ESC. Un comité
provisoire de lycéens voit le jour.
Au conseil municipal, Jean Taittinger annonce la création d'un
département informatique à l'IUT, la transformation du Collège
littéraire en fac de lettres pour 1969 et la construction de deux
résidences universitaires pour 300 étudiants.
15 et 16 mai : le mouvement se poursuit. Il a gagné les lycées et les
collèges. Mais certains sont inquiets : «Comment et quand vont se
dérouler les examens?» Des voix s'élèvent pour regretter «l'agitation
stérile».
Excepté en sciences, lettres et à l'IUT, le mouvement étudiant
s'essouffle.
Mais les ouvriers vont prendre le relais.
16 mai : les Docks Rémois lancent les grèves ouvrières. Un millier de salariés des
Docks Rémois cessent le travail, suivis par ceux des Comptoirs Français.
Ils revendiquent pour leurs conditions de travail, la garantie
d'emploi, les garanties syndicales, l'abaissement de l'âge de la
retraite et une augmentation. Les Arthur-Martin, puis les Remafer les
imitent.
Deux millions de salariés débrayent en France et
occupent 150 usines.
«La réforme, oui. La chienlit, non», déclare le
président de Gaulle dans un discours d'anthologie.
Une nouvelle fois, Taittinger fait le point sur l'avancement de
l'autoroute. Les participants aux états-généraux de
l'enseignement réunis à Reims réclament «un contrôle permanent
des connaissances» et non plus «l'examen guillotine».
20 mai : un comité intersyndical voit le jour. La
SNCF, EDF, les PTT et les transports rejoignent les 17000 grévistes de
80 entreprises. Les versements CAF ne sont plus assurés. Les banques
ferment. l'union publie une longue liste d'entreprises en grève : «Une
grève dirigée contre le gouvernement et le patronat». On retrouve entre
autres : Goulet, Chausson, la PUM, Cisapum, Saprime, Multifil, Reims
Aviation, la Société générale de fonderie, Marelli, Goury, Citroën,
Rem, Dropsy, les maisons de champagne, etc. Les facs, IUT et classes
prépa sont toujours en grève.
21 mai : 25000 Rémois de 120 entreprises ont cessé
le travail. Les piquets de grève sont vigilants.
C'est la chasse aux victuailles, la course à
l'essence (super). Le lait manque. Des commerces du centre ferment.
Pomona et les Docks Rémois livrent toutefois les denrées périssables.
Du lait est distribué en urgence. Grande première : on diffuse à la
télé le débat sur la motion de censure à propos de... la télévision.
22 mai : drapeaux rouges en tête, sous la pluie,
près de 10000 salariés de 140 entreprises défilent. Les étudiants se
font discrets. Un comité local de grève appelle les Rémois «à contrôler
les hausses excessives de prix».
l'union interrompt
provisoirement la parution de ses feuilletons et romans illustrés à
cause des «ruptures désagréables dans les livraisons». A la fac de
sciences, des politiques — le Dr Coffin, Maillart, Dachy, Badiou, Tys —
rencontrent les étudiants.
Dans le poste, de Gaulle annonce qu'«il faut changer les structures
étroites et périmées». Il promet un référendum pour juin. Au cinéma,
les Rémois s'informent à l'Empire avec Helga, un film sur l'éducation
sexuelle.
Samedi 25 mai : nouvelle grande manif sous la pluie.
Les Rémois doivent se contenter de Gitanes et de tabac gris. Il n'y a
plus de Gauloises, ni de Bleues. Quelques vandales en profitent pour
abîmer une cinquantaine de voitures : pneus crevés, capotes coupées,
bouchons de réservoir volés.
Rue de Grenelle, à Paris, les négociateurs
s'activent. On parle d'avancées : réévaluation du SMIG (à 3 F),
augmentation de salaire de 7% en juin, meilleurs droits syndicaux,
diminution du temps de travail à 40 heures hebdomadaires, récupération
des journées de grève, etc.
Légère détente : les éboueurs font une tournée de
ramassage d'ordures ménagères. Les banques ouvrent un guichet chacune.
Les Rémois se précipitent au marché Saint-Thomas.
Les négociations ouvriers-patrons avancent en
commission paritaire.
Après neuf journées de grève, les cavistes annoncent
une reprise du travail. Jean Taittinger lance un appel dans l'union
pour dire que la municipalité fait ce qu'elle peut pour régler les
problèmes d'intendance (eau, assainissement, ordures ménagères) et que
le Bureau d'aide sociale peut procurer des avances aux retraités.
Il va falloir sortir de la grève.
Fin mai 1968 : entre négociations syndicales
et bras de fer politique. — Les événements s'accélèrent.
L'Assemblée nationale est dissoute. C'est l'épreuve de force politique
le vendredi 30 mai. A l'appel du «Comité de défense de la République»,
plus de dix mille personnes attachées à la Ve République défilent d'un
côté de la ville. Des milliers de grévistes qui appellent à un
renforcement des piquets de grève défilent de l'autre. Le choc n'a pas
lieu. Seulement quelques incidents : quelques drapeaux sont déchirés,
quelques pierres et bouteilles sont lancés sur la manifestation de ceux
qui refusent «la chienlit».
Jean Taittinger et Jean Falala cosignent un appel au
calme. Ils invitent les salariés à se prononcer sur la reprise «par un
vote à bulletin secret». Tandis que l'ancien maire de Reims, Paul
Marchandeau, s'éteint à Paris, que Bob Kennedy se fait assassiner, on
négocie ferme dans les usines et les bureaux. Et, du 3 au 7 juin, les
reprises vont s'opérer crescendo malgré quelques résistances.
Retardée d'une semaine, la 35e foire de Reims peut
ouvrir avec Rika Zaraï qui se blessera légèrement sur la route à
Jonchery-sur-Vesle après son concert.
Derniers soubresauts : le 12 juin, le lycée
technique d'État Roosevelt est occupé 30 heures par des grévistes.
L'AGER demande une participation des étudiants aux instances
délibératives, plaide pour la création de facs de lettres et sciences
humaines, chirurgie dentaire, art, éducation physique. Elle demande le
report des examens et le sursis pour ceux dont l'échéance arrive en
juillet. Un dialogue s'instaure en fac avec des parents. L'AGER annonce
une «université d'été» qui «préfigure l'esprit critique».
Dimanche 26 juin : les Rémois, invités à renouveler
leurs représentants à l'Assemblée nationale, montrent que finalement
ils n'aiment pas le désordre. La IVe République n'est pas si loin. Les
deux candidats de l'Union pour la défense de la République — Jean
Taittinger opposé à René Tys, Paulette Billa, Marcel David et Jean
Falala opposé à Michel Delaître, Jean Vancraeyenest, René Maillard et
Jean-Marie Bouvier — sont élus députés.
l'union
augmente comme ses confrères. Il passe de 0,40 F à 0,50 F. Le 8 juillet
1968, le Collège littéraire deviendra officiellement faculté des
lettres, le collège de droit et de sciences : faculté aussi à part
entière.
Extrait
de 50 ans de vie rémoise : 1950-2000 d'Alain Moyat. © Éditions
Fradet, 2000, 2006. Tous droits réservés.
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Dans l'union du 21 mai 1968,
la liste impressionnante
de toutes les entreprises
en grève est donnée.

Des usines sont occupées.

Piquets de grève
chez Goulet-Turpin...

.... et devant la Sarlino.

C'était à Reims, le
30 mai 1968...
Le
conflit s'essoufle. Très discret durant les événements, Jean
Taittinger prendra la tête du Comité de défense de la République qui
donne de la voix ce jour-là. En examinant la photo de près, on
s'aperçoit qu'on l'a retouchée pour faire s'ouvrir tout grands les
gosiers entonnant la Marseillaise!
Photo l'union.
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